Nicolas Sarkozy ou le triomphe d’une histoire apologétique de la colonisation 15 mai, 2007
Posté par benchicou dans : Algérie : analyses et polémiques,Non classé , trackback
Nicolas Sarkozy ou le triomphe d’une histoire apologétique de la
colonisation
Par Olivier Le Cour Grandmaison
« Le rêve européen a besoin du rêve méditerranée. Il s’est rétréci
quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur
les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs
du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de
Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc.
Ce rêve ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation. »
Après cette énumération supposée rendre compte d’une glorieuse
tradition incarnée par la France depuis des siècles et inlassablement défendue
par tous ceux qui furent soucieux de défendre son rayonnement, le même
ajoute : « Faire une politique de civilisation comme le voulaient les
philosophes des Lumières, comme essayaient de le faire les Républicains
du temps de Jules Ferry. Faire une politique de civilisation pour
répondre à la crise d’identité, à la crise morale, au désarroi face à
la mondialisation. Faire une politique de civilisation, voilà à quoi nous
incite la Méditerranée où tout fût toujours grand, les passions aussi
bien que les crimes, où ne rien fut jamais médiocre, où même les
Républiques marchandes brillèrent dans le ciel de l’art et de la
pensée, où le génie humain s’éleva si haut qu’il est impossible de se résigner
à croire que la source en est définitivement tarie. La source n’est pas
tarie. Il suffit d’unir nos forces et tout recommencera. » Quel est
l’auteur de ces lignes qui se veulent inspirées alors qu’elles ne font
que reprendre la plus commune des vulgates destinée à légitimer les «
aventures » coloniales de la France ? Un ministre des Colonies de la
Troisième République ? Un membre de la défunte Académie des « sciences
coloniales » ? Un nostalgique de l’Algérie française qui les aurait
rédigées pour prononcer un discours destiné à célébrer cette période
réputée faste où la France commandait à 70 millions « d’indigènes »
répartis sur 13 millions de kilomètres carrés ? Non, l’auteur de cette
prose, aussi mythologique qu’apologétique de la colonisation, n’est
autre que Nicolas Sarkozy qui a prononcé ces fortes paroles en tant que
ministre-candidat lors d’un meeting à Toulon le 7 février 2007.
Singulièrement passée sous silence par la plupart des médias et des
autres dirigeant(e)s politiques engagés dans les élections
présidentielles, cette intervention confirme que la réhabilitation du
passé colonial de la France n’est pas une embardée conjoncturelle de
l’actuelle majorité et de son principal représentant. Au contraire,
cette réhabilitation, sans précédent depuis la fin de la guerre
d’Algérie, s’inscrit dans un projet politique cohérent, systématique et
crânement assumé par le candidat de l’UMP désormais chef de l’Etat
français. Pour des motifs partisans, et pour défendre ce que ce dernier
croit être l’honneur de la France et de ses citoyens, il se fait donc
porte-parole d’une histoire officielle, mensongère et révisionniste des
causes qui ont conduit à la construction de l’empire français, érigé
par de nombreuses guerres de conquête, puis dirigé par des institutions
coloniales racistes et discriminatoires. En témoigne, notamment, le
statut des « indigènes », considérés alors non comme des citoyens
libres et égaux mais comme des « sujets français » privés des droits et
libertés démocratiques élémentaires et soumis, qui plus est, à des
dispositions répressives – le Code de l’indigénat, entre autres, – qui
ne pesaient que sur eux. Sous le prétexte fallacieux de lutter contre
on ne sait quelle « pensée unique » et désir de « repentance », lesquels
n’existent que dans l’esprit de Sarkozy et de ceux qui ont forgé ces
pseudo-concepts grossiers, sur le plan intellectuel s’entend, pour
mieux faire croire à leur propre courage et originalité, on assiste donc à
une instrumentalisation spectaculaire du passé colonial de la France.
Manipuler cette histoire par la surexposition de certains de ses
aspects « positifs » supposés – la colonisation au nom de la civilisation par
exemple -, par l’euphémisation ou la sous-estimation des crimes contre
l’humanité et des crimes de guerre commis au cours de cette longue
période de l’empire colonial, et par l’occultation enfin de
l’oppression et de l’exploitation imposées à ceux qu’on appelait alors avec mépris «
les indigènes », tels sont les ressorts principaux de cette opération.
Moderne et audacieux Sarkozy ? De tels discours nous ramènent au plus
convenu de la doxa officielle forgée sous la Troisième République. Quel
est l’adjectif qualificatif adéquat à cette opération qui repose sur un
mépris souverain de l’histoire et des innombrables victimes des guerres
et des répressions coloniales ? Réactionnaire, assurément.
Jamais depuis des décennies, un candidat soutenu par le plus important
parti de la droite parlementaire ne s’était engagé dans cette voie.
Stupéfiante involution. Elle témoigne d’une radicalisation
significative des discours élaborés sur ces questions par l’UMP et son représentant
en même temps qu’elle légitime et banalise des thèmes qui n’étaient
jusque-là défendus que par l’extrême-droite et quelques associations de
nostalgiques de la période coloniale. Pour les amateurs d’exception
française, en voilà une remarquable mais sinistre car la France est le
seul Etat démocratique et la seule ancienne puissance impériale
européenne où l’un des principaux candidats à l’élection présidentielle
ose tenir de pareils propos. A quoi s’ajoute le fait que ce pays est
également le seul où une loi – celle du 23 février 2005 –, toujours en
vigueur en dépit du tour de passe-passe politico-juridique du Président
de la République, sanctionne une interprétation officielle de ce passé
colonial. « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux
hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens
départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine
ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la
souveraineté française. » Telle est, en effet, la première phrase de
l’Article 1 de ce texte voté par l’UMP et l’UDF au terme de débats où
Rudy Salles, le très officiel porte-parole de cette dernière formation
politique à l’Assemblée nationale, a joué un rôle particulièrement
actif. Qu’en pense François Bayrou lui qui prétend dépasser le clivage
gauche/droite et incarner une autre façon de faire de la politique ? Il
n’est pas besoin d’être un brillant philologue pour comprendre que le
terme œuvre, employé dans ce contexte, emporte une appréciation
évidemment positive de la période considérée. Face à cette offensive
politique, engagée depuis longtemps par les diverses composantes de la
droite parlementaire, notamment, et son principal représentant que
comptent faire les dirigeants de la gauche parlementaire et radicale ?
Ils doivent le faire savoir au plus vite.
Olivier Le Cour Grandmaison.
Enseignant à l’Université d’Evry-Val-d’Essonne.
Auteur de « Coloniser. Exterminer. Sur la guerre
et l’Etat colonial », Fayard, 2005.
Commentaires»
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.
Qui sont les membres du conseil constitutionnel? Je suis sûre qu’ils font parti de ce système mafieux.
Luisa Hanoun sera t elle ministre dans le nouveau gouvernement auprès de son protegé Zerhouni?
Sarkozy va faire bouger la France qui en a bien besoin. Mais, au-delà de l’hexagone, le Nouveau Président français va inciter certains responsables maghrébins à se bouger eux aussi surtout dans la gestion des flux migratoires. Il les poussera à se déterminer en matière de codéveloppement.Avec Sarkozy, Exit donc la corruption, les pots de vin et tout le bazar mafieux algéro-maroco-tunisien !
Tazoulti