Du 14 juin 2004 au 14 juin 2007 17 juin, 2007
Posté par benchicou dans : L'Algérie qui résiste , trackbackPar Me Ali Yahia Abdennour1° - C’est pour la liberté d’expression et la liberté de la presse que Mohamed Benchicou, qui a affronté le pouvoir par souci de vérité, de liberté et de justice, a été condamné le 14 juin 2004 à 2 ans de prison. La justice, quant à elle, a considéré qu’il n’a pas été condamné pour ses écrits critiques à l’encontre du pouvoir, mais pour infraction à la législation des changes et aux mouvements de capitaux.
Tout dans le procès Mohamed Benchicou était étrange et incompréhensible : la date d’inculpation, les charges retenues, le contenu de l’acte d’accusation. Le pouvoir, qui a exprimé à maintes reprises son hostilité pour certains titres de la presse privée, en premier lieu le journal Le Matin, a manifesté sa volonté de faire condamner son directeur de publication, qui a assumé pleinement sa mission de journaliste, en refusant une lecture univoque et complaisante des évènements. Il a montré sa hâte à priver de sa liberté et de sa plume un adversaire coriace, habile, incommode, doué des qualités d’initiative, de ténacité et de courage, qui a acquis l’expérience qui a conféré tant de poids à sa parole et d’efficacité à son action. Il a interdit le journal Le Matin, pour détruire un espace de liberté qui échappe à son contrôle. Il y avait une telle émotion dans la salle d’audience du tribunal d’El-Harrach, le 14 juin 2004, après le prononcé du verdict, que tous les présents étaient bouleversés, avaient les larmes aux yeux. Le combat de Mohamed Benchicou pour la liberté d’expression et la démocratie qui se conjuguent ensemble a soulevé un large mouvement de solidarité à l’intérieur du pays et partout dans le monde. Le Comité Benchicou, très efficace, a alerté l’opinion publique et facilité sa mobilisation, afin que plus jamais des actes de punition et de vengeance ne soient exercés contre un journaliste. Nous avons fait face à un pouvoir qui représente le modèle d’une société bloquée, bureaucratisée, policière par l’écrit et la parole libre qui témoignent afin de mobiliser l’opinion publique nationale et internationale.
2° - Il n’y a pas de liberté sans justice, ni de justice sans liberté La liberté d’expression est un droit élémentaire de la vie sociale et culturelle, de la création scientifique et artistique. L’actualité politique nous rappelle que la liberté d’expression ne se donne pas, mais se gagne et se mérite, qu’il faut toujours se battre pour la faire respecter, la maintenir, la consolider, l’élargir. Comme toute conquête de l’homme, elle est fragile et ne peut devenir une réalité juridique que dans un Etat de droit. Elle n’existe que dans la mesure où la conscience collective est prête à se mobiliser pour la défendre. Le pouvoir a cédé contre son gré un espace de liberté à la presse privée, parce que de nombreux journalistes ont parlé haut et fort et sans précaution pour imposer la liberté d’expression et la liberté de la presse. Le respect des règles de l’éthique et de la déontologie qui sont nécessaires à l’exercice du métier de journaliste doit émaner de la profession et non d’un code de l’information qui n’est qu’un code pénal bis, qu’il faut expurger de son venin. La dépénalisation du délit de presse est une priorité, car le métier de journaliste est à grand risque pénal. Le pouvoir a fabriqué des procès contre des journalistes. C’est dans les combats menés que se trouvent les conditions du succès de demain. Il faut se battre, même si le combat est inégal et semble perdu d’avance, car il vaut mieux perdre en se battant, que perdre sans se battre. Le combat est comme le football : “Si vous ne descendez pas sur le terrain vous êtes sûr de perdre, si vous y allez, vous n’êtes pas sûr de gagner, mais vous aurez l’honneur de vous être battu.” A tous ceux qui veulent ignorer les violations graves de la liberté d’expression et de la presse perpétrées par le pouvoir, nous rappelons les mots d’Albert Camus : “Maintenant, il n’y a plus d’aveugles, de sourds et de muets, mais seulement des complices.” Quand la prison devient un honneur, c’est que l’Etat s’est perverti. C’est l’oppression qui a enfanté la liberté, et la répression qui a enfanté les droits de l’homme. Les procès contre les journalistes ont mis en relief la soumission de la justice au pouvoir exécutif. Il est fréquent qu’avant un procès contre un journaliste, le président du tribunal reçoive les directives à appliquer ou demande à ses supérieurs ce qu’il doit faire. Il agit sur ordre, un ordre venu d’en haut, de bien haut, du pouvoir exécutif. Je vous demande de manifester votre solidarité avec les avocats en grève et les syndicalistes autonomes poursuivis en justice. Les atteintes graves, délibérées, répétées aux droits de la défense ont obligé à plusieurs reprises les avocats à geler leurs activités au niveau de toutes les juridictions. Les avocats savent qu’il y a des jugements et arrêts qui ne respectent ni la loi ni le droit. C’est la responsabilité du pouvoir qui est engagée, lorsqu’un avocat ne peut exercer pleinement et sans risque sa profession. L’histoire l’a souvent montré, c’est la justice qui est mise en cause, lorsqu’on s’attaque aux avocats. Qu’avez vous fait de la justice, Monsieur le Garde des Sceaux ? Vous ne cessez de dire et de répéter, que la séparation des pouvoirs vous interdit de vous ingérer dans les affaires de la justice, alors que vos interventions pour orienter le déroulement de l’action judiciaire sont permanentes. L’UGTA a tourné le dos à l’action syndicale, a abandonné le syndicalisme de protestation et de contestation pour un syndicalisme de concertation et de soumission à la politique économique et sociale du pouvoir. Il faut dépasser la conjoncture actuelle, voir plus loin, penser l’avenir qui est dans le pluralisme et la solidarité syndicale. Le travail définit la condition humaine, notamment le droit à la liberté syndicale dans ses deux dimensions, le pluralisme syndical et l’adhésion libre, sans que les réunions syndicales et autres soient prohibées et les manifestations publiques brutalement réprimées.
3° – Le prix Benchicou pour 2007 a été décerné à titre posthume au journaliste Abdelhak Beliardouh et au journaliste écrivain syrien Michel Kilo
a) A tous les membres de la famille Abdelhak Beliardouh, à ses amis, aux journalistes d’ El Watan, si douloureusement éprouvés, nous présentons l’expression de notre profond respect. Qu’il me soit permis d’évoquer la mémoire de ce grand disparu qui a travaillé de toute la force de sa conviction à la réalisation de son métier de journaliste d’investigation par la recherche de la vérité, sans fauxfuyants, avec résistance et ouverture intellectuelle. Il avait du courage, du caractère, des certitudes, une forte sensibilité pour la vérité. Il a été victime de la mafia politicofinancière locale, qui l’a humilié. Lorsque l’Algérien est humilié, il oublie qu’il est habité par la vie et la rixe. Ne pouvant pas supporter l’humiliation subie devant sa famille, puis traîné dans la ville de Tébessa jusqu’à la place du 1er-Novembre, il a préféré se donner la mort en avalant de l’acide pur. Homme de conviction, pondéré, serein, réfléchi, il a tracé son itinéraire de journaliste d’investigation, en suivant sa route quels que soient les obstacles et les dangers. Seule la mort pouvait mettre fin à son combat.
b) Michel Kilo a été arrêté le 14 mai 2006, après avoir signé une déclaration appelant à une réforme des relations libanosyriennes. Il est accusé de “provoquer des dissensions confessionnelles et raciales”, de publier des “informations mensongères et exagérées qui ont pour but de porter atteinte au prestige de l’Etat”. Le 13 mai 2007, il a été condamné à 3 ans de prison pour “affaiblissement du sentiment national”. Journaliste, politologue et défenseur des droits de l’homme, Michel Kilo est directeur de Hourriyat, un centre de défense de la presse et de la liberté d’expression. Il est une des personnalités les plus marquantes de
la Syrie, un pionnier de la démocratie. Il s’est imposé par sa profonde connaissance des problèmes les plus divers, la clarté de son argumentation, le brio de ses départies dans les débats. Il agissait avec méthode, sans précipitation mais toujours avec la ténacité d’un esprit dont la tension ne se relâchait qu’une fois la tâche achevée. Il a acquis une réputation bien méritée d’intégrité, d’honnêteté et d’efficacité. Dans le métier de journaliste qui comporte des risques, il les a assumés pleinement, car pour lui, ils relèvent de la conscience professionnelle.
Alger, le 15 juin 2007
Me Ali Yahia Abdennour
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.
Commentaires»
pas encore de commentaires