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Chronique :Entre deux mâchoires 19 juillet, 2007

Posté par benchicou dans : Chroniques dans Le Soir , trackback

 

Par Mohamed Benchicou

Bien sûr qu’il est agréable, souvent irrésistible et parfois salutaire, pour échapper à l’emprise de nos tourments, de ne parler que des joutes subsidiaires de notre temps. De nos palpitantes polémiques, par exemple : le livre de Belaïd Abdesselam, rancunier et parfaitement inutile mais qui, réunissant tous les avantages de la brocante, devrait passionner ceux qui gardent une âme de chineur ; ou les brûlots sur internet qui dévoilent, à nos grands désespoirs, l’inusable génie algérien dans le pillage des fonds publics ; ou la censure par Khalida Toumi du film de Lledo que je viens de voir, une oeuvre habile mais ambiguë, qui m’a laissé un arrière-goût amer par ses raccourcis sur la résistance algérienne, ses rapprochements équivoques avec le terrorisme islamiste et l’apologie abusive des pied-noirs, mais un film que les inquisiteurs officiels ont empêché qu’il ne vienne enrichir le débat controversé sur la révolution algérienne…

Oh oui, bien sûr qu’il est naturel de se divertir de ses malheurs par de séduisants exutoires empruntés au voisinage. Mais quand elles en viennent à s’éterniser, nos subterfuges du répit deviennent d’impardonnables alibis à la dérobade pour terminer en insoutenables accoutumances à la diversion.

Alors je ne parlerai pas du livre de Belaïd Abdesselam, ni des brûlots sur internet ni du film de Lledo ni même du prochain procès Khalifa.

Car il me semble qu’aujourd’hui notre survie est entre les deux mâchoires d’une tenaille noire autrement plus tragique, deux cataclysmes dont on détourne le regard, qui vont engloutir nos derniers espoirs démocratiques et qu’on s’amuse pourtant à traiter par le mensonge et le quolibet. Deux apocalypses. Deux : le glissement irrésistible vers une république absolutiste consacrée par la prochaine révision constitutionnelle ; la guerre massive et élaborée que nous déclare le terrorisme d’Al-Qaida, une guerre inavouée, cachée par nos dirigeants, sous-estimée par nos élites mais une guerre de pouvoir qui peut nous replonger dans d’interminables ténèbres et qui ne se terminera que par la défaite de Ben Laden ou la consécration d’une république islamiste à Alger.

En définitive, et pour succomber à mon tour au raccourci, nous voilà aux prises avec le choix royal de végéter sous une dictature ou de dépérir sous une théocratie.

Par un mécanisme du diable, chacune de ces deux apocalypses nourrit l’autre : le pouvoir s’appuie sur le risque terroriste pour se poser en unique recours, asseoir sa monarchie et décapiter les libertés publiques ; le terrorisme justifie sa guerre par l’objectif impérieux d’abattre un « pouvoir immoral et impie ».

Une guerre classique, longue et planifiée 

Echapperons-nous à un régime théocratique ? C’est tout l’enjeu de cette guerre qui se déroule près de chez nous, que nous dissimulent les dirigeants par l’esbroufe et la mauvaise propagande et dont semblent s’accommoder si bien nos esprits blasés. Il est clair qu’elle a augmenté de tonus, qu’elle s’est fixée des objectifs politiques et qu’elle s’est donnée les moyens de les réaliser. Il est clair qu’elle a aujourd’hui du souffle et qu’elle se projette dans le temps. Nous ne sommes plus dans la guérilla mais dans une guerre classique, longue et planifiée, depuis qu’Al-Qaida a choisi de fragiliser le régime, de le frapper dans ses attributs de souverain été et qu’il a désigné ses adversaires : les forces de sécurité. Elle les attaque frontalement : pour cette seule semaine, une caserne de l’armée à Lakhdaria, trois casernes ou campements, dont une de la gendarmerie, à Yakouren. Et avec des moyens nouveaux : un camion piégé à Lakhdaria, des roquettes de RPG et des bombes directionnelles » à Yakouren.

Pour la première fois depuis 1999 nos voisins, l’Europe, l’Amérique, mais aussi l’armée algérienne, s’alarment d’une situation soudaine et qui était traitée jusque là par le dédain et la démagogie. Washington veut « mettre la main à la pâte », le Maroc propose une « alliance anti-terroriste » et Gaïd Salah dépêche un général, Ahmed Bousteila, pour coordonner des opérations « exceptionnelles » engagées dans Yakouren par des unités d’élite de l’ANP appuyés par des hélicoptères.

Mais le pouvoir algérien n’est pas outillé pour gagner cette guerre. Il lui faut d’abord un vrai soutien populaire dans la traque des terroristes et il ne l’a plus. Ce n’est pas un hasard si Ali Tounsi en appellait, mardi dernier, au « rouleau compresseur services de sécurité- population .» Mais comment convaincre la population, mon colonel ? Vous n’avez plus pour elle de vrai projet politique post-terrorisme et elle n’a plus pour vous la confiance vitale : à quoi, dit-elle, ont servi les années rouges sinon à réduire davantage le champ démocratique et à enraciner le népotisme et la corruption ? Ajoutons à cela que l’ardeur populaire des années 90 a été démolie par l’ingratitude du régime et, surtout, par la « réconciliation nationale. » Le pouvoir algérien a fait le plus mauvais usage de la mobilisation populaire de la précédente décennie. Il ne l’aura plus jamais.

Quant à l’armée, elle pâtit, outre de cette déconsidération de la société pour la guerre anti-terroriste, des effets macabres de « réconciliation nationale » sur les troupes : pourquoi combattre un ennemi que l’Etat va anoblir ?

Effrayé par la perspective de perdre le pouvoir, le régime algérien est partisan d’encore négocier avec les terroristes…Il l’aurait fait sans le véto américain : Washington juge que l’heure n’est plus aux conciliabules mais à une guerre totale.

Un régime de pouvoir absolu 

En attendant, la seconde mâchoire se referme sur nous. La prochaine révision constitutionnelle signifie que l’Algérie a choisi le modèle bâtard des dictatures arabes : la « répubmonarchie », ce régime politique qui emprunte sa forme à la République occidentale moderne et son fond archaïque à la monarchie orientale. Un régime de pouvoir à vie, à la fois grotesque parodie de la république moderne et monarchie d’un autre temps, comme il en existe en Syrie, en Libye, en Egypte ou en Tunisie. Un régime de pouvoir absolu, qui n’admet aucun contre-pouvoir, bâti sur le refus de toutes libertés publique et privée, sur la corruption et la répression. Nous allons, dès 2007, vers l’éradication des libertés. Cela correspond au principe fondateur de la « répubmonarchie » mais aussi, et cela tombe plutôt bien, à la conception du souverain Abdelaziz Bouteflika qui considère octobre 88 comme une perversion et qui a commencé à le déligitimer et à déligitimer ses acquis démocratiques depuis huit ans. Presse libre, syndicats autonomes, partis d’opposition : Bouteflika n’aime pas ces butins du sang. Ces contre-pouvoirs arrachés à trente années de dictature ont, pour lui, les allures suspectes de sordides accouchements; des machins bâtards issus de l’aventurisme roturier; des prérogatives sacrées volées à l’état et redistribuées à une population immature. Lui l’enfant d’un pouvoir absolu qui règne en maître sur l’Algérie depuis quarante ans, est effaré, à son retour au pouvoir en 1999, par l’érosion de la puissance du contrôle étatique sur le citoyen. « J’ai laissé le pouvoir de Franco, je retrouve celui de la reine d’Angleterre » aimait-il à répéter, sans rire, aux journalistes étrangers. Il veut revenir au système unique, à la presse unique, au syndicat unique, par la terreur, par le chantage de la prison, la pression du juge ou la torture. Redresser le tort causé à l’état algérien par la machination d’octobre 1988; lui redonner ce que la rue lui a arraché. Et il le dit publiquement : « Le peuple algérien n’a formulé aucune demande démocratique. On a décidé pour lui. »

Bouteflika a tout entrepris pour délégitimer le processus pluraliste en marche depuis octobre 1988. Il ne reste plus qu’à l’abolir. La prochaine révision constitutionnelle va lui donner la possibilité de le faire « légitimement ». Mais déjà, il en engage l’amorce.

Lorsque le ministre Yazid Zerhouni annonce pour l’automne prochain une nouvelle loi sur les partis politiques qui va remplacer celle promulguée par ordonnance en 1996, il ne parle pas seulement des amendements concernant la création d’un parti ou la participation aux élections. Il sous-entend une décision plus capitale : éliminer les partis d’opposition d’ici 2012. Les journaux indépendants et les syndicats libres, eux, ne perdent rien pour attendre.

Une alliance nationale pour la survie de la démocratie » …

A voir le climat de désenchantement national, cette course contre la montre paraît déjà perdue. L’Algérie serait donc bien partie pour être, au mieux une « répubmonarchie » arabe, au pire une théocratie. Pourtant les choses sont, heureusement, plus complexes.

Il y a d’abord ces refus de l’injustice, certes isolés, mais opiniâtres, de certaines catégories sociales qui prouvent bien qu’une certaine Algérie protestataire continue d’exister. Le cinglant boycott des législatives, la fronde des enseignants ou des avocats, les jacqueries populaires qui secouent chaque jour nos villes, sont les signes heureux de la survivance d’une certaine colère algérienne qui a souvent, dans l’histoire, contrarié les oppressions.

Il reste à trouver les formes d’une « alliance nationale pour la survie de la démocratie » …

Ce capital protestataire est d’autant plus le bienvenu que le pouvoir algérien n’a pas tous les atouts en mains. Sur ces deux questions, la révision constitutionnelle et le traitement du terrorisme, Bouteflika ne semble pas jouir de l’adhésion unanime des différents clans ni encore moins de celle des grandes puissances mondiales.

Il ne faut pas des dons exceptionnels d’observation pour remarquer que le discours de Ali Tounsi sur le terrorisme, plus inquiet, assez circonspect et prudent sur la « réconciliation nationale », contredit celui du clan présidentiel, dithyrambique sur « le retour de la paix » et la « fin du terrorisme ». Il ne faut pas non plus des dons d’oracle pour remarquer que le 3è mandat ne bénéficie pas d’un soutien zélé de certaines « forces alliées », ce qui explique du reste les reports successifs de la révision constitutionnelle.

A l’inverse de ce qu’avance son appareil de propagande, Bouteflika ne jouit pas d’un grand soutien international pour un 3è mandat. De très sérieux analystes avancent que l’Amérique est très réservée sur sa capacité à combattre le terrorisme et une présidence à vie de Bouteflika équivaudrait à un pari sur l’incertain, la porte ouverte à Al-Qaida. De plus, Bouteflika n’aurait pas choisi le meilleur moment pour ériger sa monarchie : les Américains, à lire ces analystes, ne veulent plus de ces dictatures bâtardes incompétentes et impopulaires qui menacent leur propre stabilité. Ils ont forcé des royautés comme le Maroc ou la Jordanie à un pénible aggiornamento, comment se satisferaient-ils d’une dictature hybride en Algérie ?

Mais tout cela n’aura un prolongement chez nous que si on « s’occupe de nos propres affaires », qu’on cesse de se divertir de ses malheurs par de séduisants exutoires empruntés au voisinage et si on empêche les deux mâchoires de la tenaille noire de se refermer sur notre destin. C’est à dire : si on se manifeste.

M.B.

Commentaires»

  1. votre éclairage sur notre ciel sombre et orageux nous permet de bien comprendre les enjeux et ce qui se trame derriére nos têtes.
    maintenant ,il est clair que si nous ne voulons pas de régime théocratique ni de ce régime actuel nous devons unir nos forces pour fédérer un maximum de citoyens pour la réalisation d’une vraie démocratie.Il faut éveiller toute la société,un travail d’information et de sensibilsation et à accomplir.
    c’est à nous tous d’agir.
    On ne pourra plus dire que l’on ne savait pas.Au combat citoyens!l’heure est grave pour les démocrates!

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