Qassaman ! 14 mai, 2007
Posté par benchicou dans : Chroniques dans Le Matin,Non classé , 1 commentaire
Pour la mémoire des enfants scouts de Mostaganem souillée par vos dobermans, pour le cri de Sadaoui prolongé dans le râle de Massinissa Guermah, sur la tombe d’Ali La Pointe interdite à Taoufik Ben Brik, pour les années passées avec Saïd Mekbel, sur le mausolée de Sidi Abdelkader et pour le Zaccar du fer et des cerisaies, nous ne nous tairons pas. Vous ne nous faites pas peur. Et même si la défaillance venait à nous surprendre, nous aurions confié nos plumes aux fils qui vous regardent violer leur mère patrie, jurant que nul ventre de cette terre ne sera assez grand pour vous protéger de leur colère. Vous avez perdu.
Vous avez eu la faiblesse des despotes justifiant la force à défaut de fortifier la justice. Mais qui vous soupçonnait de puissance ? Vous m’avez pris le passeport et quelques journées passées dans des commissariats à regarder Dilem justifier une inspiration. Je vous plains de m’avoir laissé le reste, mes souvenirs et le temps de contempler vos affolements, piètres monarques à la recherche d’un rab de règne dans un pays que vous avez forcé au mépris, lui qu’insupporte la fatuité des petites personnes se méprenant sur ses indulgences. Massu n’écoutait pas El Anka et Aussaresses ne savait rien de la gasba, mais vous, que n’avez-vous suffisamment écouté la mélodie de Mustapha Toumi nous enseignant la peur que suscite aux loups le lion même blessé, que n’avez-vous retenu que ce Toumi-là reprenait la légende vérifiée de son ancêtre, d’un roi d’Alger désarmé mais protégeant, avec une foi algérienne, Sidi Abderrahmane des appétits ottomans ? Vous n’êtes pas de ce pays, il est vrai, vous n’en savez donc pas les aptitudes à la générosité et au combat, vous en ignorez l’héritage du roi Toumi et de la Kahina, vous n’avez donc aucune idée de la futilité de vos complots. Ce pays vous a déjà répudiés. A vous voir cependant opposer tant d’arrogance à la clémence d’une terre rebelle, je crois bien que vous n’êtes d’aucun pays, intrigants apatrides que nul terreau ne revendique, mercenaires sans cause à la conquête perpétuelle d’une identité impossible. A ce propos, il me vient à l’esprit la taquinerie qu’un confrère oranais s’est cru obligé de commettre à mon endroit, écrivant, avec un humour très approximatif, que le directeur du Matin, interdit de quitter le territoire national, risque d’attraper la conjonctivite. C’était d’abord prêter à la conjonctivite des pouvoirs de cécité supérieurs à ceux de la lâcheté : mon vénérable confrère, avec des yeux sains, n’a rien vu du calvaire de Sadaoui, de la prédation organisée par le cercle d’Oujda, de la rapine et des émirs émiratis invités par nos dirigeants à tuer notre faune et à faire prostituer nos femmes. Puis je me suis rangé à cette idée que notre journaliste était victime des apatrides. Enfant du Zaccar, dans cette Miliana où je passais par la maison natale d’Ali La Pointe pour regagner mon école, enfant du Zaccar j’y ai vu des Marocains l’arpenter à la lumière d’une lampe incertaine, ouvriers mineurs chargés d’extraire le minerai au péril de leur vie, des hommes au regard digne des fils du Rif. Ils ont peuplé mon enfance, ces Marocains gueules noires et je plains mon confrère oranais de n’avoir connu que des Marocains à la sale gueule. C’est une ignorance mère de tous les pédantismes. Je lui sais toutefois gré de s’inquiéter pour mon passeport à la place de mes enfants élevés par leur mère, fille de Bab El Oued, dans la tradition de toujours partager le sort que leur réservent les choix de leurs parents quand ils savent qu’ils sont justes. Bab El Oued, à quelques mètres de la tombe de Sid-Ali Benmechiche, le collègue de leur mère à l’APS, premier journaliste criblé de balles en un octobre 88 qui a vu nos mères commencer à pleurer pour leurs fils. Pour Sid-Ali nous ne nous tairons pas. Qassaman ! Pour les années passées avec Saïd Mekbel, Amar Ouagueni et Kheïreddine Ameyar, pour Tahar et Dorban, pour les martyrs de la profession à qui nos plumes doivent d’avoir survécu au doute, pour la mémoire des enfants scouts de Mostaganem souillée par vos dobermans, pour la cité de Kaki devenue celle de Si Affif et pour le gaouel forcé au silence éternel, Alloula qui ne reviendra plus et Medjoubi qui n’accompagnera plus Sonia, pour Alger de Zinet que vous n’avez pas connue et pour Momo dont vous ignorez les mots, pour Agoumi dévitalisé par l’exil et pour les rimes de l’exil de Cheikh Hasnaoui condamné au trépas insulaire, pour toutes les montagnes de mon pays, celle de Baya léguée par Meddour, mon Zaccar où le GIA a remplacé les cerisaies, l’imposant Djurdjura de Abane et de Matoub, l’Ouarsenis de Bougara et les fiers Aurès de Ben M’hidi ; sur la tombe d’Ali La Pointe que vous avez interdite à Taoufik Ben Brik, pour Abdelhak Benhamouda qui vous regarde rire avec Abassi Madani et pardonner aux assassins de Bentalha, pour Moufdi Zakaria et le M’zab de nos ancêtres, qassaman, nous ne nous tairons pas Comment pouvez-vous prétendre à la paix des plumes du vivant de Djamal Amrani quand le poète, à l’âge du renoncement, se nourrit toujours des douloureuses espérances de son peuple pour clamer vos désespoirs ? Nous ne nous tairons pas. Pour le cri de Sadaoui prolongé dans le râle de Massinissa Guermah, pour l’honneur du supplicié réhabilité par Bachir Hadj Ali pardonnant à ses tortionnaires, pour Embarek embrassant les mineurs de mon Zaccar, pour le fils du pauvre que nous fûmes avant que Mouloud Feraoun ne fasse notre portrait, pour la galette solitaire qui nous tint souvent de repas l’année de la gale, pour Boualem le mécano mort au maquis à 17 ans, pour les gavroches de Tizi vous condamnant à l’infamie pour la postérité, pour la guernina que vous n’avez jamais mangée, pour les bacheraf qui nous ont bercés, qassaman, nous ne nous tairons pas. Et je jure que nos héroïnes séduites resteront nôtres quand vous les abandonnerez, que nous ne garderons de Zohra que l’épopée de La Casbah du commandant Azzedine et le goût du Vialar de mon grand-père, que de Khalida ne restera que l’image du bandeau sur un front rebelle. Vous n’avez rien à faire dans nos intimes dynasties. C’est comme ça depuis que les fleuves irriguent nos terres et nos orgueils, de la Tafna de l’Emir Abdelkader triomphant de Bugeaud au Chlef qui accueillaient les séguias de nos cerisaies. Demandez aux 3 000 cadres à qui vous avez volé le bonheur de vivre, demandez aux veuves de Raïs et de Sidi Youcef, demandez à Zhor Zerari Algérienne debout, demandez aux enfants des patriotes assassinés et à ceux qui ont peur pour leurs pères à l’heure de la concorde, demandez aux mères des soldats morts à Sidi Ali Bounab, demandez à Kenza qui pleure toujours son papa Lounès, demandez qu’ils se taisent à ces fils d’une Algérie à gagner, ils vous toiseront du haut de leur fierté. Alors, si la défaillance venait à nous surprendre, nous leur aurions déjà confié nos plumes à tous ces fils qui, pour vous avoir regardé violer leur mère patrie, jurent que nul ventre de cette terre ne sera assez grand pour vous protéger de leur colère. Vous avez perdu.
Chronique parue le 11 septembre 2003